Merci à Martin Sarret d'avoir traduit cet article volontairement.
Imaginez un monde où Internet ne repose plus sur des câbles ou des tours de téléphonie mobile, mais sur une énorme constellation de satellites en orbite. Ce monde-là serait très différent. Les frontières politiques ne seraient plus des frontières de communication. Votre téléphone fonctionnerait aussi bien aux États-Unis qu'au Nigeria, en Australie ou au Cambodge. Vous pourriez communiquer avec des personnes de l'autre côté de la planète, et ce à la vitesse physique limite de la transmission d´information, sans être affecté par la lenteur des réseaux de câbles. Les marchés boursiers seraient mieux synchronisés les uns avec les autres. Les véhicules autonomes communiqueraient entre eux sans effort pour éviter les accidents de route, même dans les zones reculées. Les navires suivraient une trajectoire plus sûre et les avions proposeraient des services de divertissement haute définition et la possibilité de communiquer sans problème avec ses amis, sa famille et ses collègues ou ses clients sur la terre ferme. Ce que vous imaginez est en fait le monde des constellations en orbite terrestre basse, celui d´Elon Musk et sa constellation Starlink (Burleigh et al. 2019). Ces nouvelles innovations ont pour but principal de développer et moderniser l'activité humaine sur terre, mais leurs capacités peuvent tout aussi être mis à disposition dans le domaine de l´hydrologie.
Le 23 mai 2019, le prestataire de lancement américain Space Exploration Technologies, plus connu sous le nom de SpaceX, a lancé soixante satellites de communication en orbite terrestre basse pour servir de base à sa constellation Starlink (Wall 2019). À terme, la constellation comptera des milliers de satellites en orbite autour de la Terre, à environ 550 km d'altitude. La vue d´ensemble offert par l´orbite permet d´améliorer le niveau de qualité de communication entre satellites et utilisateurs au sol tout en garantissant une faible latence. Cette constellation permet de remédier aux inconvénients des réseaux câblés traditionnels. D'autres entreprises prévoient des constellations similaires.
Les câbles sous-marins, véritable réseau névralgique de la communication mondiale, peuvent transmettre d'énormes quantités de données. Des millions de textos et courriels, d'appels téléphoniques, de transactions financières et d'autres types de contenu sont acheminés par de fines fibres de verre qui s'étendent sur des milliers de kilomètres en pleine mer. Ces câbles présentent toutefois une limite physique fondamentale qui pourrait mettre fin à leur utilisation en tant que principal moyen de transfert de données à l'échelle mondiale : la lumière parcourt la même distance linéaire dans une fibre optique environ 60 à 70 % plus vite que dans le vide. (Snyder et Love 2010).
Les satellites en orbite, qui ne sont pas limités par le verre ou l'air, peuvent transmettre des données dans le monde entier à la vitesse de la lumière. Leur seul obstacle est la vitesse à laquelle les satellites peuvent convertir les signaux entrants en données, puis reconvertir ces données en signaux sortants. Bien que l'altitude des satellites signifie que les signaux doivent parcourir un chemin plus long que celui des câbles sous-marins, la différence spectaculaire en vitesse de déplacement des signaux compense largement le détour physique. Au total, une transmission Starlink aura probablement entre 3/4 et 1/2 de la latence des câbles sous-marins pour la traversée transatlantique du signal, et l´écart s´agrandit au fur et à mesure que la distance augmente.
Les défis techniques liés à la méga-constellation Starlink ou plus généralement à ce type de constellation sont considérables. Les satellites doivent acheminer d'énormes quantités de données à travers le monde. Ils doivent recevoir et transmettre des données à destination et en provenance de terminaux au sol par radio, tout en acheminant des données entre eux par laser. Le système central de gestion doit soutenir plus de satellites en orbite dans le cadre d'une seule constellation que l´ensemble des satellites actifs actuellement en orbite, toutes nations et entreprises confondues. Un réseau d'un million de stations terrestres a été demandé par SpaceX à la Commission Fédérale des Communications pour desservir une constellation de plus de 4000 satellites (Federal Communications Commission, 2018). Les orbites basses des satellites impliquent qu'ils doivent embarquer des propulseurs à effet Hall miniaturisés et très efficaces qu'ils peuvent alimenter avec des petits panneaux solaires, simples et très rentables. Ces constellations de satellites doivent gérer efficacement la chaleur produite par tous leurs sous-systèmes. Elles doivent être fiables et tenir toute leur durée de vie pour être compétitives par rapport aux systèmes non mobiles situés au sol (Clark, 2019). Aucun de ces défis n'est insurmontable et les ingénieurs travaillent dur pour trouver des solutions.
Ce que la constellation Starlink ou ses concurrents tels que OneWeb pourraient apporter en termes de progrès reste considérable. Pour les utilisateurs au sol, les applications de ces constellations sont claires : l'Internet à large bande serait accessible partout dans le monde avec d'excellents niveaux de de vitesse et de latence. Il existe cependant des applications moins évidentes pour ces constellations comme pour l´hydrologie ou plus généralement l'utilisation de l'eau.
Les constellations sont conçues pour être rentables, ce qui signifie qu'elles doivent offrir une faible latence et seront donc placées sur des orbites très basses. L'exigence d'une faible latence, associée au besoin de débit de données élevé et d'une couverture mondiale, signifie que ces constellations doivent être constituées d´un nombre important de satellites. Contrairement aux satellites de communication géosynchrones qui sont confortablement positionnés au-dessus de leur marché cible, les constellations en orbite terrestre basse auront une couverture mondiale sauf aux latitudes polaires extrêmes où la couverture sera intermittente. Cela signifie que la plupart des satellites seront au-dessus de l'eau à tout moment. Certains de ces satellites se trouveront au-dessus de zones océaniques extrêmement éloignées. Étant donné que les satellites dépendront de la qualité des services pour rentabiliser leur coût, ils disposeront d'une énorme capacité pour l´ensemble des acteurs de l´économie marine lorsqu'ils transiteront par ces régions inhabitées du monde. Cette capacité sera probablement disponible à très bas prix puisque les satellites disposeront d'une quantité considérable de bande passante inutilisée à ces endroits de leur orbite. Ces opportunités de synergies restent une chance unique pour les acteurs engagés dans l´exploitation et la protection de l´écosystème des mers et des océans du monde entier.
La figure 1 représente une bouée scientifique autonome qui collecte des données scientifiques en mer et les transmet par satellite aux chercheurs. Les bouées de ce type ne seront que la partie émergée de l'iceberg de l´infrastructure d´équipements scientifiques placés en mer et mis en réseau, une fois que ces constellations spatiales sophistiquées délivrant des services Internet à large bande seront opérationnelles. Les futures bouées pourraient être dotées d'équipements bien plus sophistiqués, collectant un volume bien plus important de données et les transmettant en temps réel, si elles avaient la possibilité de maintenir une liaison ascendante constante à large bande passante vers une constellation de satellites, sans épuiser les budgets de recherche serrés de leurs opérateurs pour des satellites au coût prohibitif. En outre, ces dispositifs pourraient être mis en réseau avec d'autres types d´équipement à travers le monde, sans qu'il soit nécessaire d´installer des câbles au fond des océans. Des équipements sous-marins tels que des hydrophones et d'autres capteurs attachés à des antennes flottantes et à des batteries pourraient permettre de maintenir une communication efficace avec les autorités compétentes. De telles applications laisseraient bientôt la place à des navires de recherche entièrement autonomes ("Surveillance" 2019).
Les navires ci-dessous (figure 2) sont un concept pour le projet GEBCO Seabed 2030 de la Nippon Foundation, dans lequel de nombreux bateaux autonomes seraient répartis dans les océans du monde entier pour cartographier les fonds marins avec précision. Un tel projet permet d’éclairer l'une des parties les plus mystérieuses de notre monde. Ce projet et bien d'autres impliquant des robots sous-marins, comme le Shell Ocean Discovery XPrize ("Ocean Discovery XPRIZE" 2019), pourraient bénéficier des effets de réseau en temps réel, avec les scientifiques en charge du projet et les centres de données, grâce à des liaisons Internet satellitaires à large bande passante.
Il existe de nombreuses autres applications potentielles de cette technologie qui permettraient de mieux comprendre comment interagir durablement avec l'hydrosphère de la Terre. La migration des baleines pourrait être surveillée à moindre coût (Dalla Rosa et al. 2008). Des robots sous-marins pourraient s'occuper de récifs coralliens artificiels et de vastes étendues de zones protégées pourraient être surveillées à moindre coût pour détecter les contrevenants (Brainard et al. 2009). Les navires et les avions pourraient rester en communication avec les contrôleurs aériens afin de s'assurer qu'ils empruntent des itinéraires efficaces et sûrs tout en fournissant de précieux services aux voyageurs à bord.
Il y a aussi le côté humain de cette technologie. Des communautés insulaires autrefois isolées pourraient bénéficier d'un accès abordable à internet dans chaque foyer, ce qui leur permettrait de mieux s´engager politiquement sur les thématiques liées à l´eau et leur donnerait accès aux outils nécessaires pour développer leurs économies dans le cadre d'un monde connecté (Unette Sealy 2003).
Au fur et à mesure que ces constellations seront déployées au cours de la prochaine décennie, l'accès Internet dans le monde s'élargira considérablement, en particulier dans les zones reculées. Les avantages de ces technologies s'étendront bien au-delà des clients sur terre pour lesquels elles ont été conçues à l'origine. Starlink et ses concurrents pourraient donner aux communautés insulaires (Unette Sealy 2003) et aux hydrologues les moyens d'élargir la portée de leurs travaux visant à assurer l'utilisation durable et la compréhension de notre eau et des ressources qu'elle contient. Les constellations Internet en orbite terrestre basse, qui relèvent principalement de l'Objectif de Développement Durable 9 (industrie, innovation et infrastructure), auront un impact important sur la réalisation de tous les Objectifs de Développement Durable 2030, mais leur impact sur les objectifs 4 (éducation de qualité), 6 (eau potable et assainissement), 13 (action climatique) et 14 (vie sous l'eau) sera directement ressenti par la communauté Space4Water ("GA Res 70/1" 2015).
Burleigh, Scott C., Tomaso De Cola, Simone Morosi, Sara Jayousi, Ernestina Cianca, and Christian Fuchs. 2019. "From Connectivity To Advanced Internet Services: A Comprehensive Review Of Small Satellites Communications And Networks". Wireless Communications And Mobile Computing 2019: 1-17. doi:10.1155/2019/6243505.
Wall, Mike. 2019. "Spacex To Launch 60 'Starlink' Internet Satellites Thursday". Space.Com. https://www.space.com/spacex-starlink-satellites-launch-back-on-may-201….
Snyder, Allan W, and J. D. Love. 2010. Optical Waveguide Theory. New York: Springer.
Federal Communications Commission. 2018. "Space Exploration Holdings, LLC, Application For Approval For Orbital Deployment And Operating Authority For The Spacex NGSO Satellite System". FCC.
Clark, Stephen. 2019. "Spacex Releases New Details On Starlink Satellite Design – Spaceflight Now". Spaceflightnow.Com. https://spaceflightnow.com/2019/05/15/spacex-releases-new-details-on-starlink-satellite-design/.
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Mayer, Larry, Martin Jakobsson, Graham Allen, Boris Dorschel, Robin Falconer, Vicki Ferrini, Geoffroy Lamarche, Helen Snaith, and Pauline Weatherall. 2018. "The Nippon Foundation—GEBCO Seabed 2030 Project: The Quest To See The World’S Oceans Completely Mapped By 2030". Geosciences 8 (2): 63. doi:10.3390/geosciences8020063.
Dalla Rosa, L., E. R. Secchi, Y. G. Maia, A. N. Zerbini, and M. P. Heide-Jørgensen. 2008. "Movements Of Satellite-Monitored Humpback Whales On Their Feeding Ground Along The Antarctic Peninsula". Polar Biology 31 (7): 771-781. doi:10.1007/s00300-008-0415-2.
Brainard, R., R. Moffitt, M. Timmers, G. Paulay, L. Plaisance, N. Knowlton, J. Caley et al. "Autonomous Reef Monitoring Structures (ARMS): A tool for monitoring indices of biodiversity in the Pacific Islands." In 11th Pacific Science Inter-Congress, Papeete, Tahiti. 2009.
Unette Sealy, Wendy. 2003. "Empowering Development Through E-Governance: Creating Smart Communities In Small Island States". The International Information & Library Review35 (2-4): 335-358. doi:10.1016/s1057-2317(03)00020-1.
General Assembly resolution 70/1, Transforming our world: the 2030 Agenda for Sustainable Development, A/RES/70/1 (25 September 2015), available from undocs.org/A/RES/70/1.