Environ 40 % de la population mondiale vit à moins de cent kilomètres des côtes (Nations unies, 2017).  Le niveau des mers est en hausse dans le monde entier et la tendance s'accélère chaque année. L'ONU, d'innombrables organisations internationales et des agences nationales travaillent ardemment chaque année pour soutenir les efforts des climatologues afin de modéliser avec précision notre climat changeant. Le rôle de la glace dans le modelage des mers de la Terre est indiscutable. À mesure que la glace continentale fond et que les calottes glaciaires se détachent des plateaux continentaux et tombent dans la mer, de plus en plus de communautés côtières sont menacées. L'élévation du niveau des mers pose d'énormes problèmes pour l'avenir.

Disposer de modèles climatiques précis permet aux responsables politiques de légiférer efficacement sur les efforts d'atténuation du changement climatique. L'une des plus grandes sources d'incertitude dans nos modèles climatiques actuels est l´impact des plateaux de glace continentale sur l'élévation du niveau des mers (Visser et al. 2000). Leurs dynamiques sont imprévisibles. Certaines plateformes de glace continentale semblent croîtrent alors que d'autres rétrécissent. Le mouvement des couches de glace est complexe et pourtant essentiel pour comprendre comment les plateformes de glace continentale évoluent dans le temps. Comprendre le rôle de ces dernières dans l'élévation du niveau de la mer est essentiel pour encadrer une politique climatique de qualité. La glaciologie depuis l´espace peut offrir aux scientifiques des données précieuses pour affiner et ajuster leurs modèles climatiques.

Airborne Radar Sounding
Figure 1 : L'équipage et les scientifiques du projet OIR avec leur avion (Guy et Binder 2017).


La glaciologie depuis l´espace est l'étude des glaciers et des calottes glaciaires à l'aide de technologies radar. Cette méthode utilise des radars à pénétration de sol fonctionnant dans les gammes de fréquences moyenne, haute et très haute pour étudier la structure des plateaux de glace continentale, la dynamique du mouvement de la couche de glace et les conditions de base sous les couches de glace. De façon simplement expliquée, la charge utile émet un signal radio vers une masse de glace et enregistre le signal de retour. Cette approche se concentre sur les zones polaires éloignées ayant un fort intérêt scientifique comme l'Antarctique et le Groenland. Historiquement, des radars aéroportés ont été utilisés pour des études à court terme sur la glace polaire, mais les plateformes aéroportées dépendent des conditions météorologiques et obligent les pilotes à effectuer des vols risqués dans des zones reculées. Un exemple d'une telle mission est le projet porté par l'Institut Alfred Wegener pour trouver la plus ancienne formation de glace stable sur Terre afin d'en extraire une carotte de glace. La mission a été baptisée "Oldest Ice Reconnaissance Dome Fuji" (OIR). Un article sur le site Web de l'EUFAR (European Facility for Airborne Research) précise que : "Pour réaliser l'étude aéroportée dans une zone aussi éloignée, une logistique complexe a été nécessaire pour installer un camp temporaire et l'approvisionner en carburant pour des vols multiples, et alimenter les moteurs et l'électricité" (Guy et Binder 2017). Il existe cependant un autre moyen d´étudier ces zones reculées hors de portée des systèmes météorologiques classiques tout en offrant des capacités de revisite fréquente et un niveau d´endurance pour une mission mesurable en années - la glaciologie depuis l´espace.

Des missions antérieures comme Cryosat-2 et les missions RadarSat ont démontré que cette méthode porte ses fruits et que les satellites peuvent obtenir des données utiles (Wingham et al 2006) (Jezek 1999). Des missions spatiales dédiées à ce type de glaciologie pourraient donner aux climatologues une meilleure idée de l'environnement sous-marin sur lequel reposent les plates-formes de glace continentales, ce qui est indispensable pour prévoir leurs mouvements. La rugosité du fond marin détermine la vitesse à laquelle les plates-formes glaciaires peuvent se déplacer une fois qu'elles sont en mouvement. Lorsque la glace près du lit commence à s'écouler, les déformations au sein de la calotte glaciaire s'accumulent, ce qui ralentit l'écoulement de la glace. Ces marges de cisaillement latérales peuvent être caractérisées à l'aide de la glaciologie depuis l´espace, bien qu'elles se trouvent en profondeur dans la structure interne des couches de glace. Comprendre comment ces marges de cisaillement évoluent en temps réel peut aider les scientifiques à affiner leurs prédictions sur la façon dont les calottes glaciaires s'écouleront (Jordan et al 2017). De nombreuses autres variables contribuent à caractériser ces écoulements de glace, notamment la présence d'eau de fonte, les espaces vides dans les couches de glace et les conditions basales - toutes ces variables sont à la portée de missions spatiales dédiées à la glaciologie.
Les données elles-mêmes peuvent être interprétées de nombreuses façons. L'une des plus communes est celle des cartes de données de sondage radar, comme celle du schéma 1. Les sondages radar ont la capacité de révéler la structure interne des glaciers grâce à la stratigraphie par radar, en mesurant les signaux radar réfractés et réfléchis par les couches de glace. La glaciologie par sondage radar n'est cependant pas sans limites.
 

Figure 2: Radar Sounding Data Map ("Radar Sounder Data Analysis | Radio Glaciology" 2019)
Figure 2 : Carte des données de sondage radar ("Radar Sounder Data Analysis | Radio Glaciology" 2019)


Parmi les principaux défis auxquels est confrontée la radioglaciologie, on peut compter les températures inconnues au sein des couches de glace et la chimie inconnue de la glace elle-même, qui rendent l'étalonnage de l'atténuation difficile, indispensable pour permettre la réception de données de qualité (Schroeder et al 2016). L'analyse des données à l'échelle est également un problème. Ces difficultés sont également accompagnées de tous les défis liés à l'exploitation des charges utiles à bord des satellites pendant la mission de glaciologie par radar.

Des techniques innovantes issues d'autres domaines, comme les technologies de communication par laser, permettent de faire le lien en aval entre les énormes quantités de données et les réseaux systèmes peuvent aider à analyser les données renvoyées par les satellites. Les carottes, l'analyse des modèles et d'autres mesures permettent de mieux comprendre les températures à l'intérieur des calottes glaciaires et leur composition chimique. Ces informations, à leur tour, facilitent l'interprétation précise des données de radioglaciologie.

Un avantage évident de la glaciologie par radar est qu'elle peut être appliquée à d'autres corps célestes. Les lunes des planètes géantes gazeuses, comme Europe, Encelade et Ganymède, présentent ici un intérêt particulier. Les données provenant d'autres corps célestes permettent d´affiner les modèles que nous utilisons pour les écoulements de glace sur Terre. Les principaux défis associés à la glaciologie par radar pour d'autres corps célestes sont les contraintes de puissance (le flux d'énergie solaire sur Jupiter représente 4 % du flux sur Terre) pour le satellite et la charge utile, ainsi que le débit limité de la liaison descendante des données (Dawson et al 2012). Les leçons tirées de l'optimisation des charges utiles de glaciologie par radar pour les applications dans l'espace lointain peuvent également servir d´appui pour améliorer les techniques d´analyse des données embarquées de systèmes terrestres et de leur débit tout en utilisant des radars plus puissants et plus efficaces pour les missions d´observation de la Terre. 

Les missions de glaciologie par radar en cours en sciences spatiales se concentrent sur Mars. L'Agence spatiale italienne (ASI) a dirigé le développement des charges utiles MARSIS et SHARAD pour Mars Express (ESA) et Mars Reconnaissance Orbiter (NASA) (Flamini et al 2007). MARSIS et SHARAD sont destinés à fonctionner ensemble. MARSIS offre une excellente pénétration pour examiner les structures plus profondes des formations de glace martiennes tandis que SHARAD a une bien meilleure résolution à des profondeurs moins importantes, jusqu'à 1 km. En guise de comparaison, les images issues des deux radars ont été mises côte à côte dans le schéma 2 ci-dessous. Ces radars ont amélioré notre compréhension de la glaciologie par radar pour les applications de recherche en planétologie et ont permis de faire des découvertes sur l'histoire du cycle de l'eau hypothétique de Mars avant que la planète ne soit privée d'eau liquide à sa surface. Ces découvertes offrent un aperçu scientifique de la dynamique des glaces terrestres.
 

Figure 3: A comparison of MARSIS and SHARAD (Watanabe 2008)
Figure 3: Comparaison entre MARSIS et SHARAD (Watanabe 2008)


De futures missions spatiales de glaciologie par radar sont prévues à la fois pour des études sur Terre et pour des applications dans des milieux extrêmes comme l´espace lointain. JUICE (Jupiter Icy Moons Explorer) de l'ESA transportera l'instrument RIME (Radar for Icy Moons Exploration), une charge utile de glaciologie par radar à fréquence unique fonctionnant dans la bande des 9 MHz (HF) (Bruzzone et al 2015), tandis que la mission Europa Clipper de la NASA devrait transporter REASON (Radar for Europa Assessment and Sounding : Ocean to Near-surface) qui est une charge utile de glaciologie par radar qui disposera de deux fréquences pour sonder Europa (HF comme RIME et VHF) (Pappalardo et al 2017). Ces missions, dont le lancement est prévu courant années 2020, ont des objectifs scientifiques très ambitieux. La découverte d'eau liquide sous les croûtes glacées protectrices des lunes des géantes gazeuses pourrait radicalement transformer notre compréhension de la relation entre l´espace et l´eau. Si l'on découvre que les océans sont dépourvus de vie, alors les scientifiques pourront étudier de près des environnements stériles avec des hydrosphères macroscopiques sans variables organiques à prendre en considération. Si l'on découvre que les océans ont de la vie, des questions scientifiques d´un nouvel ordre verront le jour.

Figure 4: NASA's Europa Clipper showing the repeated Europa Fly-By Mission Profile HIGH QUALITY IMAGE ("Europa Overview" 2017)
Figure 4 : Vision artistique d'Europa Clipper de la NASA montrant le profil de la mission répétée d´un fly-by d´Europa ("Europa Overview" 2017)


À mesure que la crise climatique s'aggravera au cours des prochaines années, les modèles climatiques qui soutiennent les politiques publiques deviendront de plus en plus indispensables pour anticiper et atténuer les conséquences du changement climatique. Des modèles climatiques améliorés issus des missions spatiales de glaciologie par radar, pourraient aider à sauver des vies, protéger les communautés et protéger des biens de valeur tout en permettant la réalisation de projets futurs visant à atténuer, voire à réduire, l'impact du changement climatique. Couplée à d'autres technologies, la glaciologie par radar nous donnera une meilleure idée de l'état de l´hydrosphère  sur Terre.

 

Sources

United Nations. 2017. "Factsheet: People And Oceans". New York: United Nations Ocean Conference.

Visser, H., R. J. M. Folkert, J. Hoekstra, and J. J. de Wolff. 2000. Climatic Change 45 (3/4): 445. doi:10.1023/a:1005516020996.

Guy, Alexandra, and Tobias Binder. 2017. "EUFAR - OIR – Airborne Magnetic And Ice Penetrating Radar Field Campaign Around Dome Fuji, East Antarctica". Eufar.Net. http://www.eufar.net/weblog/2017/05/11/oir-airborne-magnetic-and-ice-pe….

Wingham, D. J., C. R. Francis, S. Baker, C. Bouzinac, D. Brockley, R. Cullen, P. de Chateau-Thierry et al. "CryoSat: A mission to determine the fluctuations in Earth’s land and marine ice fields." Advances in Space Research 37, no. 4 (2006): 841-871.

Jezek, Kenneth C. "Glaciological properties of the Antarctic ice sheet from RADARSAT-1 synthetic aperture radar imagery." Annals of Glaciology 29 (1999): 286-290.

Jordan, Thomas M., Michael A. Cooper, Dustin M. Schroeder, Christopher N. Williams, John D. Paden, Martin J. Siegert, and Jonathan L. Bamber. 2017. "Self-Affine Subglacial Roughness: Consequences For Radar Scattering And Basal Water Discrimination In Northern Greenland". The Cryosphere 11 (3): 1247-1264. doi:10.5194/tc-11-1247-2017.

"Radar Sounder Data Analysis | Radio Glaciology". 2019. Pangea.Stanford.Edu. Accessed May 17. https://pangea.stanford.edu/radio-glaciology/radar-sounder-data-analysis.

SCHROEDER, DUSTIN M., HELENE SEROUSSI, WINNIE CHU, and DUNCAN A. YOUNG. 2016. "Adaptively Constraining Radar Attenuation And Temperature Across The Thwaites Glacier Catchment Using Bed Echoes". Journal Of Glaciology 62 (236): 1075-1082. doi:10.1017/jog.2016.100.

Dawson, Stephen, Paul Stella, William McAlpine, and Brian Smith. "JUNO photovoltaic power at Jupiter." In 10th International Energy Conversion Engineering Conference, p. 3833. 2012.

Flamini, E., F. Fois, D. Calabrese, O. Bombaci, C. Catallo, A. Croce, R. Croci et al. "Sounding Mars with SHARAD & MARSIS." In 2007 4th International Workshop on, Advanced Ground Penetrating Radar, pp. 246-251. IEEE, 2007.

Watanabe, Susan. 2008. "NASA - Two Radar Sounders Examine South Polar Layered Deposits On Mars". Nasa.Gov. https://www.nasa.gov/mission_pages/mars/images/marsis-caption-20080417….

Bruzzone, Lorenzo, Jeffrey J. Plaut, Giovanni Alberti, Donald D. Blankenship, Francesca Bovolo, Bruce A. Campbell, Davide Castelletti et al. "Jupiter icy moon explorer (juice): Advances in the design of the radar for icy moons (rime)." In 2015 IEEE International Geoscience and Remote Sensing Symposium (IGARSS), pp. 1257-1260. IEEE, 2015.

Pappalardo, R., D. Senske, H. Korth, R. Klima, S. Vance, and K. Craft. "The Europa Clipper Mission: Exploring The Habilatbility of A Unique Icy World." In European Planetary Science Congress, vol. 11. 2017.

"Europa Overview". 2017. NASA. https://www.nasa.gov/europa/overview/index.html.